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Madame Marguerite Pépier

Je n’en peux plus. J’étouffe dans cette rue, il est grand temps que je m’aère un peu . J’ai vécu ici presque toute mon existence au milieu des usines, des ateliers à côté des Abattoirs de Firminy et du quartier de Sampicot. Avant, « de mon temps », comme on dit cet endroit était surnommé quartier de Passe-Vite, il faut dire qu’il était assez mal famé : on n’y trainait pas ses guêtres ! Je m’y suis du reste peu promenée. Mon mari et moi étions de riches propriétaires et habitions le bas de l’Echo dans une belle demeure à l’écart du petit peuple pour lequel j’ai toujours eu cependant beaucoup d’attention ; autant que ma condition sociale me l’autorisait bien sûr ! J’étais alors membre du Comité de Bienfaisance d’Unieux, Comité que j’ai, du reste, couché sur mon testament. Voilà pourquoi sans doute cette rue porte mon nom : rue Marguerite Pépier. Maintenant que vous savez enfin qui je suis, je vous invite à m’accompagner dans ma petite balade. C’est assez calme, bien sûr la circulation est plus dense qu’en 1830 ou 1840, à l’époque il n’y avait guère que quelques calèches et de pauvres gens ! La rue débouche sur un croisement où circulent à vive allure d’étranges engins, tout cela est très effrayant. Est-ce bien prudent de m’aventurer seule en ces lieux ? Je suis tentée de rebrousser chemin! Allons, un peu de courage ma fille!Je vois là un monsieur étrangement vêtu ma foi qui pourra peut-être m’apporter quelque réconfort, mais prudence tout de même.

– Bonjour monsieur, je m’appelle Marguerite Pépier

– Et moi Jean- Jacques Rousseau

– Jean-Jacques Rousseau ! C’est amusant, comme le philosophe ? vous savez le père d’ « Emile », de la « Nouvelle Héloïse » ….

– Je ne suis pas à proprement parler leur père Madame mais l’auteur de ces deux personnages.

Je n’en croyais pas mes yeux ,ou du moins mes oreilles, et pensais à une farce. Mais très vite je dus me faire une raison : j’avais bien devant moi Monsieur Jean-Jacques Rousseau le philosophe en personne dont j’avais, jeune fille, parcouru les ouvrages. Il m’indiqua qu’il occupait une rue voisine à la mienne depuis fort longtemps, me confessant qu’il souffrait lui aussi de solitude, bien qu’il ait toujours été d’après-lui d’une nature solitaire! Il accepta de faire quelques pas avec moi, peu bavard, m’écoutant paisiblement. Je lui fis part de mes étonnements, de mes incompréhensions face aux transformations de la ville, aux moyens de transport, aux tenues vestimentaires des hommes et surtout des femmes. Je me gardais bien, par fierté sans doute, de lui confier mes craintes voire mes peurs ! Je ne cessais de causer j’avais, il faut le dire, pris pas mal de retard sur ce registre. Il était très attentif. Nous avons beaucoup marché. J’allais de surprises en découvertes, notant chaque nom de rue, de place, d’impasse. Il m’apparut assez vite qu’aucune autre rue de cette commune ne portait de nom de femme. Je lui en fis part. Il acquiesça. Cela se confirma tout au long de notre périple. D’abord étonnée, j’en fus très vite choquée !

– Comment expliquez-vous cela ? lui demandais-je. Les femmes ont donc si peu d’importance dans cette ville ? Ce ne sont pas pourtant les femmes qui manquent ! Je veux dire qui ont laissé leur nom dans l’Histoire. Moi je ne suis ni une suffragette, ni une syndicaliste, ni une écrivaine, mais seulement une donatrice; alors pourquoi suis-je la seule femme à avoir eu l’honneur de donner mon nom à une rue ? J’aurais été ravie qui plus est de pouvoir m’entretenir avec une personne de sexe féminin, et pas pour parler chiffons et recettes de cuisines comme les hommes le croient ! J’aurais eu tant de choses à leur demander, tant de choses à connaître, à comprendre ! Monsieur Rousseau opinait, allant jusqu’à poser sa main sur mon épaule. S’associait-il à ma désapprobation ? Ou voulait-il seulement m’apaiser ? Tristesse et colère se partageaient mes pensées alors que nous retournions sur nos pas et regagnons notre point de départ espérant, au détour de chaque nouvelle rue, rencontrer enfin une consœur dont le nom serait fièrement inscrit sur une façade d’habitation. La rue Marguerite Pépier, ma rue s’annonçait maintenant tout près. Ni Olympe de Gouges, ni George Sand, ni Madame de Sévigné,et tant d’autres espérées ne se manifestaient sur mon passage !.Je resterai donc seule femme sur cette commune ? Pour combien de temps encore ? Aux abords de ma rue je fis mes adieux à Monsieur Rousseau. Il n’avait pas dit grand-chose de lui, j’avais beaucoup parlé peut-être trop, mais il faut reconnaitre que j’avais quelques bonnes raisons d’exprimer une certaine indignation non ? Nous nous fixâmes un prochain rendez-vous ; il semblait en être heureux. Promis cette fois j’essaierai de me taire, j’ai bien dit j’essaierai !

Josiane Feudo

Je tiens à remercier Jean Vigouroux pour les éléments de biographie de Marguerite Pépier

Un commentaire

  • JOSETTE CHATEL dit :

    Très beau texte, belle écriture. J’ai volontiers accompagné Marguerite Pépier, que je connaissais, pas dans sa déambulation. Merci

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