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– Mme Woolf ?! Bonjour … je … Veuillez m’excuser, je vous dérange … Mais oui, c’est bien vous. J’ai beaucoup entendu parler de vous. Et j’ai surtout lu tous vos romans. Mais attendez…je parle, je parle, mais vous comprenez le français ? Do you speak French ?
– Oui, j’ai encore un fort accent anglais mais je comprends.
– C’est vrai que ça fait un moment que vous êtes à Saint-Étienne maintenant. C’est incroyable ! Virginia Woolf, ici, dans ma rue ! Mais d’ailleurs, que faites vous en plein centre ville ? Vous n’habitez pas ici …
– J’en ai eu assez de ma colline. La Jomayère c’est agréable, la vue y est jolie mais je voulais m’aventurer un peu dans les autres quartiers. Vous ne vous êtes pas présentée. Vous êtes …?
– Oh moi ? Je ne suis personne.
– Comment ça personne ? Ne soyez pas modeste. Pourquoi aurait on donné votre nom à cette rue si vous n’étiez personne. Où se trouve votre plaque ?
– Là, au bout de la rue. Mon nom est Élise Gervais. Vous ne l’avez jamais entendu, n’est-ce pas ?
– Ah oui, je la vois. Vous avez même droit à une distinction. Vous voyez bien que vous n’êtes pas personne. « Morte pour la liberté », ce n’est pas rien.
– Oui, vous savez, à notre époque, beaucoup mourraient pour la liberté.
– Que s’est-il passé pour vous ?
– Je travaillais pour un réseau de renseignements pendant la seconde guerre mondiale. Le réseau Gallia. Quelqu’un nous a trahi.es. La Gestapo m’a arrêtée et torturée … Je partage la rue avec Pierre Bérard, résistant lui aussi, exécuté lui aussi.
– Quelle horreur… Nous avons vécu à la même époque mais nous avons eu des destins bien différents.
– Oh mais vous aussi, vous vous êtes battue! Pour d’autres causes. Vous êtes intelligente, forte et libre. Un bel exemple pour les femmes.
– Je ne suis pas la seule … et heureusement. D’ailleurs vous allez peut-être pouvoir m’aider. Je suis à la recherche de femmes, ici, dans les rues de Saint-Étienne. J’ai beaucoup marché aujourd’hui et n’en ai trouvé que très peu. C’est simple, je n’ai pas besoin de vos mains pour m’aider à les compter, les miennes suffisent.
– Oh vous savez, ici peu de rues portent des noms de femmes, comme dans toutes les villes.
– C’est ce à quoi je m’attendais…. J’ai rencontré Dora Rivière. Vous la connaissez peut-être. Elle aussi était résistante. Elle n’a pas de rue à son nom, mais une école. Ensemble, nous avons trouvé Berthe Morisot. Elle habite à Beaulieu, où elle continue à peindre; Nous avons marché un long moment toutes les trois avant de trouver Edith Piaf. Elle a une toute petite rue dans le quartier du Bardot, près de Monthieu. Elle m’a dit que Louise Michel se trouvait près du parc Montaud. J’espère la rallier elle aussi à notre cause.
– Ces trois femmes ne sont plus avec vous ?
– Nous nous sommes dispersées pour être plus efficaces. Elles sont parties à la recherche de Marie Curie, Jeanne d’Arc, ainsi que de la femme politique Denise Bastide et de Jacqueline Maillan, la comédienne. Moi, j’avais pour mission de chercher les rues appartenant à des « Camille ». Ce n’était pas une mince affaire. Il y en a beaucoup.
– Aaaaaah
– Tous des hommes.
– Ah …
– Pareil pour les « Claude ». Allez, en route. Nous avons des femmes à chercher.
– Nous pourrions passer voir la poète Cécile Sauvage, et Maitre Simone Levaillant, je sais où les trouver.
– Super, une avocate, c’est bien pour nous. Elle pourra sûrement nous aider. Je compte sur vous pour la convaincre.
– La convaincre ? De quoi ?
– De venir avec nous. Si nous sommes assez nombreuses à nous présenter demain au conseil municipal, le maire n’aura pas d’autre choix que de nous écouter. Et si en plus nous avons Louise Michel à nos cotés, je ne me fais pas trop de soucis. Le conseil sera obligé d’accepter de changer certains noms de rues. J’ai fait une liste. Marchons, je vous la lis. N’hésitez pas à me donner votre avis. J’avais pensé à la place Rosa Parks ou la rue des Soeurs Mirabal.
– Elles sont quatre, il leur faudrait une avenue.
– Vous avez raison. J’ai aussi la rue Malala Yousafzai, la place Olympe de Gouge ou encore l’impasse Claudia Ruggerini, l’avenue Miriam Makeba …
– oh oui ! Et pourquoi pas la rue Simone Weil ? J’adore toutes vos idées !
– Attendez, c’est loin d’être terminé !
– …

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