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Atelier d'écriture - ProductionsRencontre au coin de la rue

Rencontre au coin de la rue – 1

Par 6 avril 2020avril 20th, 2020Aucun commentaire

Ce matin dans la rue silencieuse, un homme seul, peut-être a-t-il sur lui l’autorisation de sortie, c’est Benoit Frachon qui visite sa rue. C’est rare de voir un syndicaliste défiler seul dans une rue, il nous avait plutôt habitué à être la tête d’un cortège imposant. Point de suite gigantesque, point de slogans scandés, simplement un curieux qui, profitant du calme apparent et n’ayant aucune crainte d’attraper le COVID 19, a décidé de visiter sa rue. Il n’est pas peu fier qu’elle porte enfin son nom ; elle s’appelait avant « rue de l’hôpital », il trouve vraiment cela bien plus chic. Il en aurait préféré une plus grande, mais elles étaient toutes occupées par des illustres.
Il décide d’aller jusqu’au bout en détournant son regard pour ne pas trop voir l’église sur sa gauche et la maison paroissiale à droite. Lui qui a bouffé un peu du curé, tout en ayant eu une éducation religieuse, on ne sait jamais.
Une surprise l’attendait… ces temps calmes sont propices aux sorties insolites. Arrivé au rondpoint, Benoit se retrouve nez à nez, si l’on peut dire avec le récipiendaire de la rue perpendiculaire. Et là c’est l’étonnement : il s’agit d’un curé. Robert PLoton. Une mairie communiste avait donc honoré un des siens mais aussi un prêtre bien catholique. « Mais pourquoi diable (s’il existe) en est-on arrivé là », se dit-il en aparté.
Tous les deux ne se connaissent pas vraiment, par ouïe dire seulement. De primes abords pas très causants, ils feignent de ne pas se voir… mais ils sont seuls à cet endroit, impossible d’échapper à une confrontation singulière.
BF : salut curé, on se promène ? Je constate que ta rue est plus petite que la mienne.
RP : je vois que tu as gardé un sens aigu de l’observation.
BF : il me semble que tu me dois le respect, je suis plus ancien que toi.
RP : au point où on en est, je ne vois pas l’importance. C’est vrai que je suis né 8 ans après toi, si tu y tiens…
BF : au fait tu as eu de la promo, tu es devenu chanoine, si j’en crois le panneau qui porte ton nom ?
RP : et toi secrétaire général de la CGT jusqu’en 1967 pendant 22 ans…. Tu t’es accroché au manche dis donc !!
BF : il y a une chose qui peut nous mettre d’accord : on est mort la même année.
RP : bon, on ne va se rappeler les mauvais souvenirs !!
RP : j’ai peut être fait carrière dans l’église mais toi aussi, à la CGT dès 17 ans, tu ne l’as plus quittée, belle carrière camarade ! Oui camarade, car tu as été membre important du parti…
BF : mais moi je me suis battu tout de suite dès la première adhésion, en 10 au Chambon, il y a eu beaucoup de casse.
RP : t’avais 17 ans…. En pleine forme, ça n’a pas l’air d’avoir altéré ta santé. Mais moi aussi je m’occupais des jeunes comme toi… enfin, ceux d’en face, les cathos, comme tu disais. A IZIEUX, j’ai fondé la JOC …
BF : ah oui, ces jeunes qui venaient chasser sur nos terres !!
RP : t’as remarqué qu’il n’y a personne dans la rue… il paraît que c’est la guerre… moi j’ai connu l’occupation, j’ai de la peine à comparer…
BF : et tu t’es occupé à quoi ?
RP : écoute, je ne vais pas étaler mes états de services… mais je n’ai pas attendu la fin du pacte Germano Russe pour résister… dès le début j’ai mis en place un groupe de diffusion clandestine et j’ai aussi hébergé des juifs… il parait qu’aujourd’hui des gens font la même chose avec d’autres clandestins… le monde évolue peu finalement.
BF : comment tu sais ça…
RP : je suis en direct avec radio paradis… je rigole !
BF : mais enfin, ça me plait qu’à moitié que tu parles du pacte germano russe…
RP : à moitié… on progresse…
BF : ne te moque pas…. J’ai œuvré dans la résistance, avec Jacques D. notamment…
RP : vous en avez profité pour faire un peu de ménage dans vos rangs….
BF : attention à ce que tu dis, tu vas m’énerver…
RP : t’es resté chatouilleux sur ces questions !
BF : en tout cas ce fut une époque spéciale, nous en sommes ressortis différents… le Conseil National de la Résistance, ça te parle, la Sécu, la planification….
RP : pourvu qu’à l’issue de leur guerre, ils ressortent aussi différents….
BF : on peut rêver… on n’a que ça à faire…
RP : en parlant de ressortir, regarde…, ils sont plusieurs à descendre vers nous, espacés d’un mètre cinquante… ça doit être l’heure de la sortie pour tous ces confinés…
BF : t’as raison, faut qu’on se tire… ils sont déjà bien perturbés… s’ils nous trouvent entrain de taper la causette… mais finalement ça m’a fait du bien de te rencontrer….
RP : j’ te dis pas à la prochaine… mais ce serait avec plaisir…
Et là-dessus ils se quittent et rejoignent leur panneau respectif…

 

Jean Louis

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