Les grands troupeaux de vie
Le paysage du saule
admet l’habit noir l’habit blanc
l’espace n’est ni clos ni ouvert, n’écoute pas les mêmes lois
Le saule laisse flotter au vent les jeunes et longues flèches de ses ramilles
folles fines guirlandes elles jouent dans la lumière
toute sa silhouette danse, folle fine,
son corps enseigne au vent une chorégraphie
fulgurante immobile dans les clignotements
comme si l’image avait des paupières
un esprit traversé de rêves
C’est ici, aujourd’hui, que je me tiens – si peu, autant –
sur l’île où j’ai convergé
près du saule
entourée de mer
aux flancs renaissants du volcan
j’entends le son des sources, les chemins, mes non-pas, la puissance des arbres,
tout s’éloigne et se loge à l’intérieur de moi
et les mots
les mots ruissellent enfin des ravins de mes doigts
de mes chambres-canyons,
formant rivières de brume au contact du vent
c’est la falaise qui fume, l’océan qui palpite, dans les cordes lâchées, les voiles arrachées,
les corps échoués révolus, à l’abîme des injustes,
c’est pourquoi je n’écrirai ni même avec mon corps
libre enfin, peut-être, pourvue d’ailes invisibles,
je pourrai survoler les grands troupeaux de vie
être une forêt qui n’écrit pas
un fleuve qui se tait
parce qu’à jamais je n’entends plus les mêmes voix.
Joëlle Soyer – 10 février 2024