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Atelier d'écriture - ProductionsLibre parole

Le SRAS – EPC-20 , un nouveau virus ? – 12

Le SRAS – EPC-20[1], un nouveau virus ?

Ce soir, comme les autres, à 20h je sors pour applaudir les soignants. Deux ou trois voisins et voisines guettent les premiers claquements de main et le son métallique de la casserole de ma compagne. Les voilà : « bonjour, ça va ? ». «Solidarité avec les soignants, ils prennent soin de nous », nous sommes un peu seuls à vocaliser mais peu importe. On se voyait sans se connaître, on ne se parlait pas. Et le virus a fait le reste ! « Bonsoir à demain, portez-vous bien ». Une situation parmi des milliers, des centaines de milliers d’autres, partout, en France et dans le monde. Ici une jeune fille, guitare en main sur son balcon, offre une chanson à qui ouvre sa fenêtre. Là, une coach sportive donne des cours de gym à des seniors campés sur le trottoir d’en face. Plus drôle, ce jeune homme, travesti en Spiderman, qui soumet les habitants de son immeuble à un QCM aérien et oral. On croise, depuis cinq jours, Mina et sa copine dans notre évasion quotidienne sur les sentiers proches de chez nous. On prend des nouvelles, on échange nos impressions. On se dit « à demain », sûrs de se retrouver. Un pizzaiolo offre gracieusement des pizzas aux soignants de la résidence de personnes âgées, une entreprise locale fournit des jeux de société aux enfants de familles pauvres, un groupe de femmes fabrique des masques de protection en tissu pour les distribuer aux jeunes inconscients qui squattent la petite place de l’église, un jeune fabrique des casques à visières pour les caissières de la supérette grâce à son imprimante 3D, etc. Un élan altruiste sans précédent a saisi les soignants depuis plusieurs semaines ; beaucoup d’entre eux dépassent même très largement l’engagement qu’habituellement leur mission leur assigne. On ne compte plus les initiatives. Ce curieux printemps 2020, marqué au fer par Covid 19 cet invisible mal, bouillonne d’une nouvelle effervescence. Une énergie inattendue pulse dans les veines du corps social. Discrète mais puissante elle se propage chaque jour un peu plus, innerve chacune et chacun d’entre nous et s’insinue, quasi par surprise, même chez les plus réfractaires. Oui on peut faire autrement que subir, s’ignorer. Une conviction ancienne pour certains qui en ont fait un quotidien militant, une résurgence pour d’autres qui en avaient enfoui l’idée sous les strates d’un passé désabusé, une révélation pour beaucoup qui expérimentent entraide et pratiques collaboratives. Ces réunions, ces rencontres révèlent un autre syndrome, un SRAS vigoureux qui concoure à l’ébauche d’un autre possible. Ce qui pointe et commence à s’épanouir c’est un retour à la racine des rapports humains et de la relation que les femmes et hommes entretiennent entre eux et avec les choses et la nature. Les regards sur le monde changent d’angle et en font surgir l’insoupçonné : l’autre m’est si proche au fond, l’animal, le végétal me tutoient. Le temps confiné, paradoxalement, aiguise les consciences, ouvre de nouvelles portes sur le monde, libère la puissance créatrice, redonne plein sens au collectif. Ephémère parenthèse ou nouveau départ ? On n’évitera pas la question. On peut l’esquiver et jouir à plein du moment (c’est toujours ça de pris !). Mais attention, nous guette alors la culpabilité prochaine de l’occasion manquée. Saisir ce moment privilégié de penser un « après » radicalement différent en ouvrant plus largement les vannes à cette sève qui monte. Construire une autre loi du monde basée sur l’entraide du vivant et la pratique collaborative. Une option stimulante sur et pour demain. Et si l’envie, lucide et virale, nous prenait de transformer ces aujourd’huis qui bruissent, pour reprendre une expression d’Alain Damasio[2], en lendemains qui chantent ? Chiche !

Jean-Marc

[1]Syndrome Radical Aigu Solidaire, Entraide et Pratique Collaborative

[2] Alain Damasio Les furtifs La Volte 2019

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